La chapelle sanglante

La chapelle se trouvait au sommet de la colline, au nord d’un petit village perdu dans la campagne écossaise. Le père Lazare, fraîchement arrivé dans cette contrée sauvage eu le plus grand mal à recruter des compagnons qui l’assisteraient dans sa tâche. Il avait toujours souhaité être envoyé en Ecosse. On était au printemps mais le temps était froid et pluvieux. Cela n’enlevait rien à la magie singulière des paysages de ce pays, qui semblaient tout droit sorti d’un autre monde. Dominique, c’était son prénom, avait prévenu ses compagnons que leur tâche serait ardue, que la mort les attendrait peut-être au tournant. Mais tous, en tout cinq gaillards bien bâtit, étaient venus pour l’argent. Le Vatican avait donné au père Lazare une somme rondelette qu’il pouvait dépenser comme bon lui semblait, du moment que sa mission était menée à bien, par conséquent le job payait bien. C’était le crépuscule, le ciel était constellé des premières étoiles de la nuit, les nuages roses au reflets dorés avaient pris la couleur du soleil et zébraient l’azur d’un ciel calme. Lazare avait revêtu sa soutane pourpre et dorée, et arborait fièrement son crucifix en argent massif. Il l’avait fait consacrer juste avant son départ pour l’Ecosse. Il avait été bénit dans l’eau sacré du Jourdain, et les prêtres de l’ordre des chasseurs de démons du Vatican, un ordre secret, l’avait imprégné de leurs prières durant sept jours et sept nuits. Sous les ordres de Dominique Lazare, notre petite troupe d’exorcistes improvisés se mit en route pour la chapelle. Le temps se couvrit brusquement, l’orage grondait, menaçant. C’était comme si la nuit était tombée de façon subite.    
La foudre s’est abattue sur la croix qui trône au sommet du bâtiment. Il émane de cette chapelle un bruit étrange et persistant. Celui de deux objets qui s’entrechoquent. Le père Lazare, plein de ferveur, brandit son crucifix : « Que la lumière du Christ me guide ! ». Il se mit à pleuvoir à verse, le ciel était zébré d’éclairs. Sur ces mots, le brave père rassembla ses ouailles, puis ils entrèrent dans la chapelle, enveloppé dans leur ferveur ardente. Partout, le silence. Tout semblait normal à part quelques bancs démolis. Lazare évaluait la situation. Il avait été missionné par le Vatican pour exorciser un démon qui sévissait dans la région. Le père Lazare le traquerait, le débusquerait, puis le bannirait vers les enfers. Il était un des meilleurs soldats de Dieu. Le bruit de la pluie cessa soudainement Il put entendre plus distinctement le bruit qui persistait dans un sinistre rythme. Un bruit de métal strident retentit, toutes les croix présentes dans la chapelle se mirent à se retourner. Quand elles furent toutes à l’envers, la petite milice se signa, ils murmurèrent des mots superstitieux en langue gaélique. Le père Lazare fit retomber leur inquiétude avec un discours plein de Foi, puis ils se rendirent tous au fonds de la chapelle, pour trouver la source de ce son qui commençait faire s’entrechoquer leur os. Les reflets des flammes de leurs torches dansaient sur les murs et le plafond, ils identifièrent une trace de sang qui s’enfonçait plus profondément encore dans les entrailles de la petite chapelle. Ils la suivirent en récitant de saintes litanies à la gloire de l’Eternel. Le bruit gagnait en intensité à mesure qu’ils s’aventuraient dans les profondeurs. Enfin, ils arrivèrent devant une porte en bois massif. La traînée sanglante se poursuivait sous la porte, et le bruit était devenu assourdissant. Le père Lazare rassembla tout son courage et toute sa Foi, puis il ouvrit la porte.
Du sang. Il y en avait partout. Une dizaine de corps de vieillards, de femmes, et d’enfants ébahis, gisaient debout, empalés sur des piques. Dans le fonds, se détachait une ombre gigantesque. Le bruit était devenu insupportable, accompagnés du son d’un liquide qui gouttait sur le sol.
Il émerge des brumes obscures, un obélisque obscène de chairs violacées, boursouflées. Une gueule pleine de dents balafre son ventre proéminant, une odeur méphitique et les miasmes de la pourriture s’en dégagent.  Une chaîne d’ossements sort de sa peau et lui relie les tétons. Ses énormes bras musclés, se terminent par les avatars du Massacre. De sa main droite, le manche d'un énorme couperet dont la lame est rouillée par le sang séché de ses victimes, s’abat avec force sur un billot. Dans sa main gauche, un crochet de boucher aux méchantes dents. Sa respiration, large, bruyante est le grognement sourd d’une bête surnaturelle.
Un flot ininterrompu de larves grouillantes s’échappe de sa gueule béante. Deux longues cornes terminent leurs courses dans son dos gras. Il arrête son infâme besogne, et se retourne vers le petit groupe. Son visage est couvert de pustules purulentes qui éclatent au rythme de sa respiration en laissant s’échapper de petits diablotins ailés. On voyait difficilement la pupille de ses yeux jaunes qui semblaient bruler des flammes de la haine. Il prit son gigantesque couperet et le brandit en avant, dans un geste menaçant. « De la viande fraiche ! » D’un seul coup circulaire, il éventra la moitié de la milice du Père Lazare. Le sang et les entrailles giclèrent sur le mur. Un magma d’excréments et de bile faisait s’émaner une odeur fétide dans la pièce. L’autre moitié de la milice prit ses jambes à son cou, abandonnant le père Lazare à son pauvre sort. Celui-ci, resta impassible, il semblait ignorer la terrible force du monstre. Dominique commençait même à arborer un sourire dément. Dans son esprit résonnait l’appel de la bataille. Il brandit son crucifix à la face du démon : « À genoux démon ! Ecoute le Créateur tout-puissant qui parle à travers-moi ! Soumets-toi. » Le démon recula en se cachant les yeux, un rire guttural agita sa carcasse pourrissante :
-Dis ce que tu veux petit prêtre. Dieu n’est pas ici, il ne viendra pas te sauver.
-Je te bannis démon ! Dis-moi quel est ton nom ! Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, Dieu te commande de me donner ton nom !
On apercevait les dents luisantes du prêtre dans la pénombre. Il souriait toujours, ne craignant pas le Mal. Ses paroles firent bruler la chair du démon. Il arbora un rictus moqueur.
-Je te l’ai déjà dit, petit père, dieu n’est pas ici. Et mon couperet veut plus de viande fraiche !
-Tu ne peux m’atteindre. Je suis le bras vengeur de l’Eternel, et ma Foi est mon bouclier. Je suis invincible, tant que le tout-puissant marche avec moi !
Il colla son crucifix contre l’œil du démon. Sa chair crépita dans un sifflement atroce Une odeur de viande pourrie en pleine cuisson s’échappa de sa chair brulée. Il poussa un cri de douleur et recula de quelque pas.
-Tu me fatigue, petit père. Tu nourriras mon hachoir, je te promets que d’ici quelques minutes, je me délecterai de ta chair, et je me curerai les dents avec tes os. »
Le démon voulut manipuler son gigantesque hachoir, mais il put à peine le soulever. C’est alors qu’il entendit une voix murée dans l’ombre lui dire qu’il fallait capturer le prêtre vivant. « Bien maître »
-A qui parles tu démon ? Je suis ton seul maître ! Ploie devant moi. Je suis accompagné de tous les saints du paradis, nous sommes innombrables ! Je te vaincrai, suppôt de Satan !
Le père Lazare était porté par la ferveur divine, une lumière éclatante émanait de tout son être. Il ressemblait à un dieu en colère :« Ploie, c’est ton Seigneur et maître qui te l’ordonne ! » L’impensable se produisit. L’énorme monstre tomba à genoux. Il était sur le point de dire son nom, quand dans un ultime élan de volonté, il fit son poing se fracasser sur le plafond. Des briques tombèrent sur le brave père Lazare. Celui-ci était désormais inconscient sous les gravats. Quand la poussière retomba, le démon déblaya les décombres, puis il chargea le père sur son dos, avant de l’emporter dans les tréfonds de la chapelle.
Plusieurs jours plus tard, un étrange prêtre rouge se mit à arpenter les villages alentours. Il faisait des miracles à tour de bras, et prêchait la parole du Prince Noir. Bientôt, toute la région fut peuplée d’hérétiques, et de blasphémateurs. Le terrible bruit du boucher émanait toujours de la chapelle sanglante. « Je te l’avait dit petit père, Dieu ne te sauvera pas. » Son rire guttural retentit avec force, et fit s’envoler les oiseaux des campagnes alentours.