La dispute

C’était il y a quinze ans maintenant, mais il s’en souvenait comme si c’était hier. C’était par un soir de février.
Il habitait dans le 8e près des Champs-Elysées, au dernier étage d’un immeuble Haussmannien.
Ce soir-là, comme à leur habitude, Edouard et Linda se disputaient parce qu’il était complètement torché.
Il titubait pitoyablement en tétant de temps à autres une bouteille de vodka.
-M-mais tu comprends pas Linda, je, je t’aime ! T-tu peux pas imaginer à quel point. V-voilà, j’t’aime comme la mouche aime le caca ! ‘Suis la mouche, t’es le caca !
Elle ignora cette phrase qui aurait dû la faire rire. Elle le regarda d’un air résigné et en soupirant.
-Et moi je ne peux plus aimer un alcoolique ! Tu es irresponsable, tes enfants suivent ton mauvais exemple. Pour leur bien tu dois dégager d’ici !
Leurs éclats de voix avaient rameuté tout l’immeuble. Les voisins observaient la scène comme si c’était une représentation de vaudeville.
-Quessya ? A rien à voir ! Foutez-moi le camp bandes de sales zieuteurs !
Les voisins ne bougèrent pas.
-‘Pi rends moi mes 1000 balles !
Linda resta figée, la bouche bée. De quoi il parle ? Ah oui, c’était une histoire de mensualité de crédit en retard.
Certains voisins sortirent leur téléphone pour filmer la scène.
-T’es complètement bourré et c’est à ça que tu penses ? Les voilà tes 1000 balles !
Elle exhiba son majeur tendu sur lequel elle faisait coulisser son alliance de bas en haut. « T’as qu’à te le mettre où je pense ! »
Ed ne dit rien. Il prit l’air fatigué, fit un gros bâillement, et descendit bruyamment une rasade de vodka.
-Boring !
-Ah ouais ? Bin ton fric t’as qu’à venir le chercher dans mon cul !
Eddy prit un air sophistiqué et choqué.
-Madame, je ne touche pas l’argent sale !
Quelques voisins ne purent s’empêcher de rire aux éclats.
La honte fit Linda retourner à l’intérieur, mais Edouard se jeta à ses pieds
-J-j’ai un truc à te dire Linda ! J-J’ai…j’ai lourdé la tuture pour m’acheter de l’alcool ! J’te demande pardon !
Ed commença à chialer, il poussait de gros sanglots larmoyants.
-Tu as quoi ?
Il ravala sa salive.
-J’te dit que j’ai viendu la voiture ! J’suis désolé !
Linda le foudroya du regard, Edouard n’y vit plus que du mépris.
-Prends toutes tes merdes et dégages d’ici.
Il lui étreignit les jambes en pleurant. Sa voix devenait nasillarde comme chaque fois qu’il était bourré.
-Non ! Pas ça par pitié ! J’vais changer, j’te promets !
-Toujours la même rengaine. C’est bon, j’en ai plein le cul de tomber dans le panneau à chaque fois. Tu m’as mis en rogne !
Linda devint toute rouge, elle se mit à hurler : « QUOI ? TU  VEUX PAS DÉGAGER ? BIN J’VAIS T’FILER UN COUP DE MAIN !
Sur ces mots, elle claqua la porte, tourna la clef, et disparu dans leur luxueux appartement. Ed pouvait l’entendre fouiller dans les placards en râlant.
-Mais qui m’a foutu un abruti pareil ? T’as intérêt de te dépêcher d’aller sur le trottoir, ou tes affaires vont pas rester là longtemps !
Les voisins ne ratèrent rien de ce triste spectacle. La vidéo fit quelques millions de vues sur Youtube, sous le titre « La dispute. »