Le passeur

Je navigue sur une blessure, moi le passeur des âmes. Elle coule entre deux berges de terre calcinée, la rivière de flamme.
Ma barque avance, même si les morts, en colère, tentent de s’y accrocher. Ma poche est remplie de pièces d’argent, et je vais chez les succubes pour dépenser.
De ma vie de mortel, il ne me reste que le souvenir des prostituées.
Ainsi va ma mort, je fornique et je passe.
Des flammes, on ne retient que les cris. Celui des morts qui hurlent pour l’éternité. Ils se tiennent ainsi, de part et d’autre des rives.
Innombrables, rongés par les flammes rouges de la rage. L’air est empli de l’écho de leur souffrance. Les bourreaux empalent leurs victimes sur des piques.
Cet endroit est maudit. Dames de fer, et chevalets, pour faire passer la rage de n’avoir pas vécu. Mon indifférence coule avec le fleuve.
Ce n’est pas comme si j’avais encore une âme.
De tous les fleuves qui déversent leur flot en enfer, le Phlégéton est le plus fascinant. Une âme désolée, m’a dit un jour qu’il y fait très froid. Je ne sais pas. Je suis incapable de sentir la chaleur.
Ses cratères, son magma, ses brasiers, et ses terres désolées. Ce ciel rouge comme le sang. Tout évoque la fin du monde. C’est vrai, un jour ou l’autre, ils finissent tous ici.
Parfois, j’aperçois le Chien.
Il vient pour s’amuser. Ses trois têtes arrachent, déchiquettent, ces corps éthérés qu’on prendrait pour de la brume.
Je traverse toujours, en admirant tout cela. Je ricane parfois :

« Qu’importe la vie ou la mort, tant qu’on peut baiser. »