Igitur ou la folie d’Elbehnon

Je me suis essayé à un poème en alexandrins inspiré du conte de Stéphane Mallarmé « Igitur » que peu de gens ont lu et, parmi ceux qui ont essayé de le lire, beaucoup ont abandonné la lecture avant la fin tellement il est difficile et hermétique (comme la plupart des textes de Mallarmé par ailleurs).
C’est un pari personnel : Essayer de respecter la trame générale, la teneur, l’obscurité  et la philosophie du conte. La plus grande difficulté pour moi a été d’intégrer des mots clés essentiels dans les vers en essayant de respecter au plus près les règles de la versification classique (rimes, hémistiches, césures, etc.)
Un grand merci à Martyne Dubau qui m’a conseillé dans cette entreprise ardue.
Mais je suis certain qu’il y a encore beaucoup de fautes et je demande aux membres du groupe de me les signaler, car, contrairement à certains, j’accepte la critique et m’en nourrit.

Dixit Stéphane Mallarmé : « Ce Conte s’adresse à l’Intelligence du lecteur qui met les choses en scène, elle-même. »
                                                                                                                          (Stéphane Mallarmé)  
Igitur ou la folie d’Elbehnon

Du minuit aboli d’un hier achevé,
A l’avenir oiseux du hasard équivoque,
Un livre essentiel fermé sur le chevet
Dérobe ses secrets à celui qui l’évoque.

Dans la chambre, nul bruit, sauf l’enfouissement
Du temps évanoui sur la lourde tenture,
Rien ! Le néant abstrus, le lent accroissement
De l’inutilité d’une nuit immature.

Quittant ces lieux confus pour se rendre au Tombeau,
Igitur, emportant l’universel grimoire,
La fiole au Néant et l’éclatant flambeau,
Descend par l’escalier où se perd sa mémoire.

Ce frôlement de plume est-il le scandement
D’un oiseau de la nuit dérangé dans ses rêves
Ou bien les battements de son cœur haletant
En ce lieu pénétré de pulsions grièves ?

Se mirant mille fois sur les panneaux luisants,
Les ombres de jadis des phénix poétiques
Conduisent lentement Igitur aux gisants
Des ancêtres pareils aux esprits totémiques.

Assis sur le granit, jouant le coup de dés
Qui donnera le Nombre unique, le seul nombre
Invoqué par l’oracle aux aïeux décédés
Et qui ne peut être autre en ce souterrain sombre,

Il ferme le grimoire et soufflant la bougie,
S’étend sur le tombeau du parent involu
Dans la crypte dès lors à jamais assagie.
-Secret de l’Univers désormais résolu-.

C’est le Douze qui sort, le Douze du Minuit
A l’horloge enfouie en sa propre agonie
Par laquelle subsiste un reliquat d’ennui,
La pureté de l’heure et son inharmonie.

A coup sûr, de tout temps, sa race a subsisté
Dans cette ambiguïté descendant des ténèbres ;
Elle admet la folie en l’acte contristé
Qui se joue instamment parmi les blocs funèbres.

Les dés stabilisés, le hasard aboli,
Minuit ! l’Acte commis, il boit à la fiole
La goutte de Néant – substance de l’oubli-
Pour accomplir enfin la prédiction folle.

Par sa mort, Igitur reprend sa liberté.
Détaché du fardeau de la chimère antique,
Un souffle inexploré s’impose à la clarté
Et l’accomplissement de l’Idée esthétique.

La poésie aspire au langage idéal
De l’élévation à la beauté suprême
Du vers faisant couleur sur le papier fatal,
Défloré par la plume au petit matin blême.

Alain Dicharry, Labenne, le 21 juin 2023

Alain Dicharry, Labenne, le 21 juin 2023

Merci beaucoup, Alain. Cela me fait tant plaisir que vous m'ayez suggéré ce poème. C'est une véritable rencontre ! Pour vous répondre, ce n'est pas tant l'érudition qui me plaît dans la poésie. Je veux dire par là qu'on se sent souvent étranger à ce monde où la Stupidité règne. Plus personne ne sait parler. Comment faire pour être compris ?  Et je suis évidemment hermétique, au sens littéral de Thot. J'ai aussi lu d'autres de vos poèmes. C'est comme un ermite qui parlerait à un humain. Je ressens un peu la même chose avec Nietzsche.

Merci pour vos compliments qui me montent le rouge aux joues.
Malheureusement je n'ai pas votre érudition tant philosophique qu'historique. Je n'ai jamais étudié les philosophes et, ne possédant qu'un bac technique, je suis complétement autodidacte.

Je m'intéresse vraiment à la poésie que depuis 10 ans et, encore, de façon sporadique (je peux rester des années sans composer).
Auparavant j'ai commis quelques poèmes sans prétention et d'une versification douteuse et maladroite.
Maintenant, à 75 ans passés, malgré d'autres nombreuses activités, j'essaie de rattraper le retard.

"Plus personne ne sait parler. Comment faire pour être compris ?" Vous avez entièrement raison! C'est avec consternation que je lis, ici et là, certains textes écrits à la va vite, sans relecture ni recherche esthétique. J'ai essayé de donner des conseils à quelques uns de ces pseudo-poètes qui, certains, l'ont très mal pris et cela a finit presque en pugilat. Depuis je ne commente plus les nullités.

Les motivations qui me guident dans mon écriture sont la beauté de la langue française, le respect de la versification classique et la recherche de l'esthétique avant tout.

Que pensez-vous des observations que me fait un intervenant sur un autre site:

Je cite: "Mallarmé ne serait pas déçu...Pas de hiatus...Trois choses cependant...Les génies poétiques = sept pieds...Les géni es poétiques...Il joue le coup de dés = Sept pieds...Il jou e le coup de dés...Dans cette ambigüité = Sept pieds...Dans cette am bi gü i té...Voilà mon avis..."

C'est peut-être un dialecte ou une sorte de langue vernaculaire... Mais puisque nous abordons le sujet, le hiatus ne me dérange pas en soi. Il peut même être un élément stylistique s'il est bien placé. Qu'en dites-vous ?

On a bien le droit de se marrer.

Pour ma part j'évite les hiatus.

Si je me souviens bien igitur est un conte inachevé et mon professeur de lettres m'avait conseillé de le commencer pour en voir la complexité mais de ne pas m'entêter ,il y a belle lurette (Il était correcteur et préfacier à la pléiade!) .
pour lire certains textes de Mallarmé armez vous!
Choisissez de préférence les plus courts.

Merci HCV pour votre commentaire élogieux et votre sens de l'humour toujours aussi aiguisé.
J'ai mis plus d'un mois à transposer ce conte inachevé de Mallarmé tant le texte est dense, complexe, obscur avec des mots rares, des métaphores toutes mallarméennes et une syntaxe disloquée. Du Mallarmé dans toute sa splendeur.

A mon avis, Igitur est avec le Coup de dés et La prose pour des Esseintes le plus hermétique de Mallarmé et les exégètes ne sont pas, encore aujourd'hui, tous d'accord pour le sens qu'il faut accorder à ces textes.

Je vous envie pour votre faculté à écrire aussi spontanément des textes de belle facture et toujours pleins de malice et d'humour.

Malheureusement je n'ai pas votre érudition tant philosophique, qu'historique et littéraire. Je ne posséde qu'un bac technique, je suis complétement autodidacte.