Janvier 1993.
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Janvier 1993.
Chaque matin, après la mort de la nuit, j’ouvre les yeux sur un monde vierge. Je renais à une vie neuve qui ouvre ses horizons inexplorés au cœur battant de l’enfant naïf que je suis resté. Si Dieu existait, je croirais en lui et je lui dirais merci. Je suis bien. Tout est possible. Surtout le meilleur. Je me sens léger. Prêt à tous les combats pour ne pas te perdre et rester dans le royaume dont tu es la reine.
J’attends la rencontre toujours renouvelée avec toi, toujours différente, toujours inattendue. Tu as dormi près de moi, mais empêtré dans les affres de mes cauchemars, puis englouti dans le naufrage de mon sommeil tourmenté, je ne t’ai pas vue, si belle, mon île délicieuse posée sur l’océan de mes fantasmes inavoués, tes yeux clos regardant au-dedans de toi les infinis auxquels tu ne m’as pas interdit d’aborder. Et c’est ton réveil que j’attends, docile, impatient, silencieux.
Alors je me lève. Je presse une orange et dans le verre, j’y ajoute la pulpe parce que tu aimes ça. Je prépare une tasse de chocolat que je mettrai à chauffer tout à l’heure. Je beurre deux tartines de pain grillé que je nappe d’un peu de miel. J’allume la radio en prenant soin de mettre le son très bas. Sur France Inter, les infos me parlent de haine et de sang, de lâchetés et de bassesses… Et c’est comme une déchirure de l’âme. Une chute brève et violente dont je sais que je vais me relever un peu plus désabusé qu’hier, plus révolté aussi, plus impuissant que jamais. Plus vieux. La magie puérile de mon réveil se fissure, se craquèle comme un miroir que les alouettes fuiraient une à une jusqu’à la dernière.
Et puis j’entends ta voix, encore ensommeillée… Je m’approche doucement de la porte entrouverte de la chambre. Tu t’étires en baillant, adorable, tes petits seins pointant sous ton tee-shirt leurs tétons insolents… Tu me souris, et toutes les couleurs du bonheur éclatent d’un seul coup dans le ciel de cet instant éphémère.
Je sais que je vais te perdre. Ton départ est inscrit sur la page inachevée de notre destin balafré par les blessures qui sont venues lacérer notre bonheur.
Je pose le plateau de ton petit déjeuner sur tes genoux. Je m’assieds sur le bord du lit. Je te regarde. Tu es belle. Tellement belle... Tu finis de boire ton jus d’orange en me lorgnant du coin de l’œil, mutine. Puis, tu poses le plateau au pied du lit. Tes yeux rieurs toujours fixés sur moi, d’un geste soudain, tu ôtes ton tee-shirt, tu repousses les draps en battant des pieds et tu m’apparais, nue, sublime dans la lumière douce et chaude que laisse passer le volet à peine relevé. Je rampe jusqu’à toi dans le fouillis des draps. Je te surplombe, je me noie dans l’eau sombre de ton regard, ta bouche vient happer la mienne, mon corps s’arrime au tien et nous faisons l’amour. Violemment. Presque brutalement. Comme pour conjurer la certitude de la fin prochaine de l’univers qui était le nôtre jusqu’à ce jour maudit…
Nous osons tout. Sans honte. Sans gêne. Dans la pureté de notre lutte perdue d’avance. Eperdus. Et dans le halètement de nos souffles mêlés, le balancement de nos corps, nous savons que cette étreinte sera peut-être la dernière.
Je te regarde t’habiller. Avec cette grâce qui est tienne, innée, et chacun de tes gestes dessine une chorégraphie subtile et sensuelle. Une sorte de strip-tease à l’envers. Je te mange des yeux. Tu es là, dans le contre jour de la fenêtre, la tête inclinée. Ta tête chauve… Tes cheveux dans lesquels j’aimais tant passer mes mains, enfouir mes baisers, ne sont plus qu’un souvenir, tribut payé à l’espoir d’une guérison hypothétique… Et ce crâne nu, si doux à mes caresses, je l’aime aussi, je l’aime tant ! Comme si mes lèvres en le baisant chuchotaient mon amour plus près de ton esprit. Tu me souris à nouveau. « On y va ? » Tu as prononcé ces trois mots d’un ton léger, presque anodin. Un peu trop. Trop.
Je t’ai laissée dans ton lit d’hôpital. Tu m’as dit « ça va aller ». J’ai bredouillé « Je viens te voir demain ». Je me suis penché, j’ai posé ma bouche sur la tienne et, en me relevant, j’ai cru voir une larme qui brillait dans tes yeux. Tu m’as murmuré : « Je t’aime ». Alors me souvenant de ma répartie qui t’avais tant fait rire peu après notre rencontre, j’ai répondu : « moi aussi, je m’aime ! ».
Et tu m’as offert ton dernier sourire…
J’attends la rencontre toujours renouvelée avec toi, toujours différente, toujours inattendue. Tu as dormi près de moi, mais empêtré dans les affres de mes cauchemars, puis englouti dans le naufrage de mon sommeil tourmenté, je ne t’ai pas vue, si belle, mon île délicieuse posée sur l’océan de mes fantasmes inavoués, tes yeux clos regardant au-dedans de toi les infinis auxquels tu ne m’as pas interdit d’aborder. Et c’est ton réveil que j’attends, docile, impatient, silencieux.
Alors je me lève. Je presse une orange et dans le verre, j’y ajoute la pulpe parce que tu aimes ça. Je prépare une tasse de chocolat que je mettrai à chauffer tout à l’heure. Je beurre deux tartines de pain grillé que je nappe d’un peu de miel. J’allume la radio en prenant soin de mettre le son très bas. Sur France Inter, les infos me parlent de haine et de sang, de lâchetés et de bassesses… Et c’est comme une déchirure de l’âme. Une chute brève et violente dont je sais que je vais me relever un peu plus désabusé qu’hier, plus révolté aussi, plus impuissant que jamais. Plus vieux. La magie puérile de mon réveil se fissure, se craquèle comme un miroir que les alouettes fuiraient une à une jusqu’à la dernière.
Et puis j’entends ta voix, encore ensommeillée… Je m’approche doucement de la porte entrouverte de la chambre. Tu t’étires en baillant, adorable, tes petits seins pointant sous ton tee-shirt leurs tétons insolents… Tu me souris, et toutes les couleurs du bonheur éclatent d’un seul coup dans le ciel de cet instant éphémère.
Je sais que je vais te perdre. Ton départ est inscrit sur la page inachevée de notre destin balafré par les blessures qui sont venues lacérer notre bonheur.
Je pose le plateau de ton petit déjeuner sur tes genoux. Je m’assieds sur le bord du lit. Je te regarde. Tu es belle. Tellement belle... Tu finis de boire ton jus d’orange en me lorgnant du coin de l’œil, mutine. Puis, tu poses le plateau au pied du lit. Tes yeux rieurs toujours fixés sur moi, d’un geste soudain, tu ôtes ton tee-shirt, tu repousses les draps en battant des pieds et tu m’apparais, nue, sublime dans la lumière douce et chaude que laisse passer le volet à peine relevé. Je rampe jusqu’à toi dans le fouillis des draps. Je te surplombe, je me noie dans l’eau sombre de ton regard, ta bouche vient happer la mienne, mon corps s’arrime au tien et nous faisons l’amour. Violemment. Presque brutalement. Comme pour conjurer la certitude de la fin prochaine de l’univers qui était le nôtre jusqu’à ce jour maudit…
Nous osons tout. Sans honte. Sans gêne. Dans la pureté de notre lutte perdue d’avance. Eperdus. Et dans le halètement de nos souffles mêlés, le balancement de nos corps, nous savons que cette étreinte sera peut-être la dernière.
Je te regarde t’habiller. Avec cette grâce qui est tienne, innée, et chacun de tes gestes dessine une chorégraphie subtile et sensuelle. Une sorte de strip-tease à l’envers. Je te mange des yeux. Tu es là, dans le contre jour de la fenêtre, la tête inclinée. Ta tête chauve… Tes cheveux dans lesquels j’aimais tant passer mes mains, enfouir mes baisers, ne sont plus qu’un souvenir, tribut payé à l’espoir d’une guérison hypothétique… Et ce crâne nu, si doux à mes caresses, je l’aime aussi, je l’aime tant ! Comme si mes lèvres en le baisant chuchotaient mon amour plus près de ton esprit. Tu me souris à nouveau. « On y va ? » Tu as prononcé ces trois mots d’un ton léger, presque anodin. Un peu trop. Trop.
Je t’ai laissée dans ton lit d’hôpital. Tu m’as dit « ça va aller ». J’ai bredouillé « Je viens te voir demain ». Je me suis penché, j’ai posé ma bouche sur la tienne et, en me relevant, j’ai cru voir une larme qui brillait dans tes yeux. Tu m’as murmuré : « Je t’aime ». Alors me souvenant de ma répartie qui t’avais tant fait rire peu après notre rencontre, j’ai répondu : « moi aussi, je m’aime ! ».
Et tu m’as offert ton dernier sourire…
ibere64- Messages : 790
Date d'inscription : 29/07/2022
Localisation : Euzkadi
Benoit (admin.), Fanny, Lydia et Errances aiment ce message
Re: Janvier 1993.
Tu as une écriture qui bifurque (je pense que tu comprendras ce que je veux dire) et j'aime beaucoup ça, que dire de plus que tout est amour, tout est l'essence même de l'amour dans ce texte et ce tout je le ressens , ton écriture est superbe et ça fait bien longtemps que je n'en avais lu une comme la tienne. Et j'aime ce mot récurrent dans tes textes : éperdu je trouve qu'il te correspond tout à fait, un être éperdu d'amour.
Je pense comme tu l'as écrit que chaque matin est une renaissance, une nouvelle vie, c'est ainsi que je vis et cette sensation de renaître au monde est unique et chaque jour est ultime, il n'est pas nécessaire de mesurer le temps qui ne sera toujours qu'une demi-mesure de l'instant et de sa démesure.
Merci de cet écrit poignant qui me touche à l'âme.
Amitiés.
Je pense comme tu l'as écrit que chaque matin est une renaissance, une nouvelle vie, c'est ainsi que je vis et cette sensation de renaître au monde est unique et chaque jour est ultime, il n'est pas nécessaire de mesurer le temps qui ne sera toujours qu'une demi-mesure de l'instant et de sa démesure.
Merci de cet écrit poignant qui me touche à l'âme.
Amitiés.
Lydia et Errances aiment ce message
Re: Janvier 1993.
A travers ce récit, on mesure toute la dimension d'un grand amour à la fin tragique annoncée. Que l'on découvre dans tout son drame et que tu sais nous décrire avec une si profonde vérité. Merci Ibere.
Lydia- Messages : 2635
Date d'inscription : 10/04/2022
Age : 64
Localisation : ROCHEFORT
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Re: Janvier 1993.
Merde !
Dis-moi que, ce texte, est pure création. Que ce n'est pas arrivé. Que l'amour, joueur joyeux s'est poursuivi d'autres matins dans le contre-jour d'un soleil puissant.
Dis-moi que, ce texte, est pure création. Que ce n'est pas arrivé. Que l'amour, joueur joyeux s'est poursuivi d'autres matins dans le contre-jour d'un soleil puissant.
Errances- Messages : 1195
Date d'inscription : 01/08/2022
Localisation : Ouest fort fort lointain
Lydia aime ce message
Re: Janvier 1993.
Benoît, je pense aussi qu'il n'est pas nécessaire de mesurer le temps, mais il est cependant borné par des moments ou des dates auxquelles on ne peut échapper. Encore une fois, j'ai hésité longtemps à publier ce texte, mais je crois qu'il existe, au-delà de ce que l'on pourrait considérer comme de l'impudeur, un besoin de se livrer pour abolir l'oubli de quelque chose ou de quelqu'un que l'on a perdu à jamais. je ne sais pas si je me fais bien comprendre. En tout cas, merci à toi de me lire. Je suis heureux que les "bifurcations" de mes écrits te plaisent. J'ai aimé le terme. Et je l'ai compris.
Amitiés.
Amitiés.
ibere64- Messages : 790
Date d'inscription : 29/07/2022
Localisation : Euzkadi
Benoit (admin.) et Lydia aiment ce message
Re: Janvier 1993.
Merci Lydia, pour avoir ressenti la vérité de mes mots.
ibere64- Messages : 790
Date d'inscription : 29/07/2022
Localisation : Euzkadi
Lydia aime ce message
Re: Janvier 1993.
Errances, J'aimerais te dire que ce texte est pure création. mais ce serait faux. J'ai modifié les faits dans certains de leurs aspects, j'ai voulu aussi faire acte de "création littéraire", mais j'ai hélas puisé l'essentiel de ce qui est dit dans une réalité qui se rappelle à mon souvenir chaque mois de janvier (et bien plus) depuis 30 ans... Que ce soit bien clair: je ne cherche pas à faire "pleurer dans les chaumières". J'arrache simplement à mon vécu ce qui me paraît digne d'être partagé, fut-ce en le romançant parfois. J'ai du mal à écrire de la pure fiction. Il me faut un terreau de vérité pour écrire, même si ce terreau ressemble parfois à un bourbier! Et pourtant, j'aimerais vraiment créer une histoire de toutes pièces. Je m'y essaierai peut être, mais je crois que je n'en ai pas le talent. Merci de m'avoir lu.
ibere64- Messages : 790
Date d'inscription : 29/07/2022
Localisation : Euzkadi
Lydia et Errances aiment ce message
Re: Janvier 1993.
Ton texte est d'une justesse qui m'émeut profondément. Tous les signes de l'amour sont présents, comme ceux du départ.
Ce que j'ai exprimé dans le précédent message est un déni de réalité.
Parce que nous sommes différents, tous différents, tous différents autant physiquement que dans l'intime de nôtre être et que ma façon de recevoir ton histoire, ton passé heureux et douloureux est sans doute percutée par mon passé récent et de ce fait exacerbée.
Je ne crois que tu sois du genre à compromettre ton intégrité pour quelques larmes d'inconnus-es.
Amicalement.
Ce que j'ai exprimé dans le précédent message est un déni de réalité.
Parce que nous sommes différents, tous différents, tous différents autant physiquement que dans l'intime de nôtre être et que ma façon de recevoir ton histoire, ton passé heureux et douloureux est sans doute percutée par mon passé récent et de ce fait exacerbée.
Je ne crois que tu sois du genre à compromettre ton intégrité pour quelques larmes d'inconnus-es.
Amicalement.
Errances- Messages : 1195
Date d'inscription : 01/08/2022
Localisation : Ouest fort fort lointain
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