Liberté Poétique.
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Elle s'appelait Maryse...

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Message par ibere64 Jeu 5 Jan - 13:11

Elle s’appelait Maryse. Elle s’appelait Arlette.

Elles étaient amies. Amies comme on peut l’être quand une guerre mondiale fait exploser en vol tous les rêves, toute l’insouciance de deux jeunes filles de 15 ans ; Lorsque l’avenir se barre d’une ligne de feu et de fer jusqu’à le rendre incertain, illisible, angoissant… Lorsque Paris occupé sent la peur et la mort. Cette peur avec laquelle il faut apprendre à vivre. On devrait dire ces peurs, plutôt : La peur de rater le dernier métro et de devoir renter chez soi en tremblant de tomber sur une patrouille allemande, de devoir se cacher dans l’encoignure d’une porte cochère et d’attendre, terrorisée que s’éloigne et disparaisse le bruit des bottes… La peur qui vous étreint lorsque dans le hurlement sinistre des sirènes il faut dévaler en pleine nuit les escaliers, et courir, courir jusqu’à la bouche de métro qui parait si loin et attendre parfois des heures dans le sourd grondement des bombardements, avant de pouvoir retrouver la surface, avec l’angoisse de ne pas retrouver son immeuble debout… La peur, après des heures de queue chez l’épicier de le voir tirer son rideau en criant « Plus rien, à demain ! » et de rentrer à la maison tête basse, les bons d’alimentation froissés dans la main pour annoncer à la famille qu’il faudra se serrer la ceinture aujourd’hui… La peur toujours présente contre laquelle deux jeunes filles, Maryse et Arlette, n’ont que leur amitié pour se persuader que ce cauchemar finira bien par disparaitre, c’est obligé… Alors on tente d’oublier ce présent qui meurtrit sa  jeunesse en mordant dans la vie à pleines dents autant que faire se peut. On va au cinéma, on se retrouve avec les amis du lycée pour flirter dans des soirées festives clandestines en écoutant cette musique interdite que l’on découvre avec délice, le jazz venu d’Amérique, on se gorge de mots nouveaux qui sentent bon la liberté : le swing, le be-bop,
et cette envie irrépressible de liberté tient ces enfants de la guerre debout malgré toutes les restrictions, malgré la peur des rafles, malgré la faim, malgré le regard glacé de cet officier SS qui vous déshabille dans une file d’attente où à la sortie des cours… Malgré la guerre…

Maryse et Arlette. Arlette et Maryse. Inséparables. Chacune s’est intégrée à la famille de l’autre. On va passer la soirée et dormir chez Maryse, on fera de même dans quelques jours chez Arlette. On se dit tout, on se moque des garçons, mais pas de Jacques ni de Michel, ils sont beaux ! Mais un peu bêtes quand-même ! On a des fou-rires, on se confie des secrets de jeunes filles en fleur. On restera amies à la vie à la mort, ça ne peut pas être autrement.

Ça ne sera pas autrement…

Le lycée. C’est en fait le meilleur de leurs vies. C’est là que l’on retrouve les copains de classe, le plaisir, en suivant les différents cours, d’être dans une vie « normale », enfin, de faire semblant d’y croire… Parfois, il faut quitter précipitamment la salle de classe pour gagner les abris alentours quand une alerte annonce un bombardement. Il arrive même, pris par le temps, de n’avoir plus comme ultime recours que de se glisser sous les tables, dérisoires remparts pendant que les bombes pleuvent dans un fracas d’enfer, mais on est ensemble, on rit même, pour exorciser sa peur…
Maryse et Arlette vivent tout cela en ayant parfaitement conscience de la gravité des événements de ce temps mais aussi avec la légèreté de leur âge pour ne pas sombrer dans le désespoir de ne jamais connaître l’existence à laquelle elles aspirent. Ne pas perdre leur jeunesse dans les affres d’une horreur qu’elles côtoient chaque jour… Leur amitié les tient debout. Elles ne tomberont pas. Elles se le sont juré.

Un matin gris et brumeux de novembre, Arlette attend Maryse comme elle fait chaque jour devant la porte du lycée. C’est une tradition qu’elles ont instaurée depuis longtemps : La première arrivée attend l’autre pour gagner ensemble la salle de cours. Le temps passe. La Professeure de Français, Mme Giraut, semble attendre aussi quelqu’un, près d’Arlette. Maryse parait enfin, au bout de la rue et s’approche en agitant joyeusement la main comme elle le fait toujours. Parvenue à quelques mètres du portail, Mme Giraut, d’un geste péremptoire, les deux bras en avant comme pour la repousser, lui intime de s’arrêter. Maryse s’immobilise, étonnée, sourcils froncés, inquiète tout à coup…
« Maryse, tu ne dois pas venir en cours. La gestapo est passée chez toi ce matin peu après ton départ pour le lycée. Ils viendront te chercher ici… Il faut partir, te cacher… Je suis désolée, Maryse. Sauve-toi ! »
Mme Giraut a dit ces paroles d’une voix blanche.  Arlette, pétrifiée, fixe son amie, incapable de prononcer un mot. Tout son corps s’est mis à trembler. Maryse toujours parfaitement immobile, plonge ses yeux dans les siens. Cet échange bouleversant dure une éternité de quelques secondes, puis, brusquement, Maryse tourne les talons et, sans courir mais d’un pas vif, rebrousse chemin. Avant de tourner au coin de la rue, elle se retourne brièvement une dernière fois, lève la main pour un dernier adieu et disparait de la vie d’Arlette. A jamais.
Elle s’appelait Maryse.

Maryse Bloch.

Arlette, c’était ma mère. Lorsque j’étais gamin, je lui demandais souvent de me raconter cette histoire, son histoire, et elle le faisait toujours avec une émotion non dissimulée et même parfois, des larmes dans les yeux…
Arlette a quitté ce monde en septembre dernier. Très vieille dame, atteinte de la maladie d’Alzeimer, elle avait tout oublié de sa vie, jusqu’à ne plus savoir qui j’étais, moi, son propre fils. Quelques jours avant sa mort, la pressentant sans doute, j’eus l’idée de lui demander l’air de rien : « Maman, te rappelles tu le nom de cette amie que tu avais, tu sais, celle dont tu m’as souvent raconté l’histoire, pendant la guerre ? J’ai son prénom sur le bout de la langue mais je n’arrive pas à le retrouver… »
Alors à ma grande stupéfaction, sans hésiter une seconde, son regard s’éclairant d’une lueur étrange, elle me répondit d’une voix assurée : « Maryse. Elle s’appelait Maryse. Maryse Bloch » Et elle me raconta son histoire que je connaissais parfaitement sans oublier le moindre détail. Et c’est moi, à la fin, qui ne pus retenir mes larmes.
Ma mère, qui avait tout oublié de sa vie, n’en avait gardé qu’un souvenir, un seul, parfaitement conservé au plus profond de sa mémoire. Celui de son amie, Maryse Bloch qui lui avait été arrachée un matin de novembre 1942 et dont elle n’avait jamais pu retrouver la trace. Disparue à jamais parce qu’elle portait, au revers de son manteau, une étoile jaune. Cette étoile ne s’est jamais éteinte dans le cœur de ma mère.
Alors, je me suis juré de mettre cette histoire par écrit et de la partager tôt ou tard. Pour que Maryse ne tombe pas dans l’oubli. En la nommant elle et en nommant son amie « à la vie à la mort »

Elle s’appelait Arlette.
Elle s’appelait Maryse.
Maryse Bloch.
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Message par Peterpiotr Jeu 5 Jan - 17:15

Très bien écrit et décrit, Ibère. Sans fioritures inutiles, sans jugement péremptoire. L'essentiel est dit. La fin d'une amitié due à une force majeure; ici l'Occupation, conséquence d'une guerre perdue. Inutile d'épiloguer.
Un hommage à toutes les Maryse et les Arlette de la Terre, comme il y en a eu parfois dans ce monde imparfait et comme je le souhaite, qu'il n'y en ait pas de sitôt; mais ça c'est un vœu pieux.

Émouvant et pudique. Remarquable, mon ami.
sunny
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Message par ibere64 Ven 6 Jan - 14:39

Merci Peterpiotr, je me devais d'écrire cette histoire. Comme un devoir envers ma mère, et surtout envers Maryse...
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Message par Benoit (admin.) Ven 6 Jan - 15:00

Au-delà, bien au-delà de l'écriture et de sa qualité indéniable ton écrit est un témoignage en même temps qu'un hommage, j'aime les personnes qui tiennent leur paroles et qui les transforment en actes, qui ont ce sens de l'honneur, qui transmettent la mémoire car c'est grâce à elles que j'ai grandi et que malgré tout ce que peut nous promettre l'avenir c'est grâce à elles et à toi que je reste confiant en l'humain.

Nous avançons pas à pas
Malgré les bruits de bottes
Plume à la main s'écrit ainsi l'histoire,
Se transmet le savoir.

L'émotion est bien là.

Merci.

Benoît.
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Message par Errances Mar 10 Jan - 8:09

Une petite histoire dans la grande.
Merci Ibère pour ce témoignage. Pour cette transmission.

Amicalement.

Errances

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